J’avais 10 ans quand j’ai vu un film qui m’a profondément marquée : Alexandre le bienheureux.
L’histoire d’une homme qui décide de ne plus travailler et de se la couler douce. Terriblement subversif.
Je suis Alexandre.
Depuis que je suis en âge de travailler, justement, écolière, lycéenne, étudiante, salariée puis entrepreneure débutante, j’ai toujours été profondément tiraillée par un paradoxe insoluble. J’étais capable de bosser beaucoup et avec réussite. Mais je n’en n’avais que rarement l’envie.
Alors, je me suis ennuyée, énormément, terriblement, pendant de longues années. Je ne rêvais que de bouquins et de films à regarder. Je rêvais de rêvasser dans mon hamac.
Je rêvais de devenir Morgane, la bienheureuse.
J’ai aimé mes études, toutefois. Car j’aimais apprendre et que j’avais choisi ma voie. Mais avec moi, c’était un peu tout ou rien. Excellente en langues, en biologie, en sciences humaines. Nulle en physique, en électronique, en dessin. Je ne faisais pas l’effort, je n’en voyais pas l’utilité. La pression de la réussite empêchait chez moi toute velléité de sérénité.
Salariée, c’est le sens qui m’a manqué, ô combien manqué. Enfin, au début, le manque de reconnaissance surtout, le mépris, le management par le harcèlement m’ont révoltée. Je trouvais que les quelques milliers de francs (soit quelques centaines d’euros, oui, c’est affreusement peu) récoltés chaque fin de mois ne valait absolument pas le coût psychologique. Je ne savais même plus quelle signification pouvait avoir le mot « sérénité ».
Ensuite, ce fut l’ennui et les postes tous plus vides de sens les uns que les autres qui s’enchaînent et qui m’enchaînent. Même pas la sensation de participer à quelque chose d’utile ou d’essentiel. Car de simples mercis il n’était guère question.
Pourquoi est alors la question que je me pose en permanence
Pourquoi suis-je là ? Pourquoi est-ce que je viens à mon bureau, chaque jour, faire des trucs qui, au mieux, m’emmerdent, au pire, me dégoûtent ? Pourquoi je n’arrive jamais à décrocher totalement, le soir, le week-end, pendant les vacances ? Pourquoi eux, les autres, mes collègues, mes ami.es n’ont-ils à la bouche que des « je suis sous l’eau », « je suis débordé.e », « je bosse trop »… tandis que je comptais les minutes passer.
Tout ça pour de l’argent ? Pour une sécurité totalement illusoire ? Pour attendre le Graal : la retraite. Mon dieu, la retraite.
Puis je suis devenue entrepreneure
Je n’ai pas basculé du jour au lendemain dans le Nirvana le plus complet ! Les choses ne sont pas si simples. Lentement, patiemment, avec beaucoup de peurs et de doutes à dépasser, j’ai dû détricoter toute ma matrice.
Les horaires, le présentéisme, l’image du travailleur versus le glandeur. En testant, en me trompant, en faisant des pas minuscules puis de plus en plus grands, j’ai décidé de construire MA façon d’envisager ma vie professionnelle et ma vie tout court.
Je suis paresseuse. Une vraie, pure, paresseuse.
J’aime ne rien faire, dormir, bouquiner ou mater des séries toute la journée. J’aime me promener tranquille, papoter avec mes copines, regarder le ciel, la mer ou le feu dans une cheminée pendant des heures.
Le côté working girl, très peu pour moi. Les agendas oberbookés, courir toute la journée, enchaîner les journées boulot/gosses/sport, no way. Même les 10 000 rituels à effectuer pour avoir une vie trop cool zen magnifique géniale me font soupirer. J’aime pas méditer, écrire le matin, me lever une heure plus tôt ou faire du yoga en mangeant vegan.
Même dans ce que j’adore faire, comme écrire, lire ou manger du chocolat, j’ai des périodes, parfois très longues, « sans ». Euh, sauf pour le chocolat, j’avoue !!
Bref, il y a 6 ans, quand j’ai découvert cette étrange liberté de l’entrepreneure, j’ai été très déboussolée. Brutalement, j’avais à ma portée de nombreuses heures auparavant dédiées à mon employeur. En même temps, j’avais de quoi les occuper puisque j’avais 2 enfants en bas-âge et des milliards de trucs indispensables (que sinon tu vas mourir) à faire pour développer mon entreprise.
Comme toutes les vraies paresseuses, pour atteindre mon niveau de sérénité maximal, j’ai bossé dur. Peu à peu, j’ai appris comment je fonctionnais. À quel moment, avec qui et sur quels sujets je travaillais le mieux.
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Année après année, j’ai supprimé tout ce qui ne me convenait pas
- Les clients qui prononçaient le mot « urgent » (sérieusement, le jour où pondre un article sera une question de vie ou de mort, on aura du souci à se faire).
- La rédaction, car je n’avais plus envie d’écrire à la place des autres.
- Tout ce que je procrastinais avec douleur (chez moi, c’est un signe imparable que ça me soule grave, car je suis tout à fait capable de procrastiner en nageant dans la béatitude).
Et j’ai remplacé par ce qui me fait kiffer :
- Emmener mes client.es au parc de la Tête d’or, les faire écrire, encore et encore.
- Écrire des livres, de temps en temps.
- Lire et en parler.
- Et tout ce que je fais dans mes journées, sans lien direct avec mon activité pro, qui font pourtant qui je suis.
J’aime voyager, mais je n’aime pas l’organisation familiale que cela demande. Du coup, je le fais peu, mais intensément. Je déteste sortir le soir pour le boulot (même si c’est incroyablement sympa), je refuse donc toutes les propositions. Je n’ai aucun rythme de publication ni sur mon blog, ni sur ma newsletter, ni sur Facebook. Sauf si j’en ai envie. J’emmène et je vais chercher mes enfants à l’école quasiment tous les jours. Mais je n’ai aucune culpabilité à les envoyer chez papy-mamie dès que l’occasion se présente. Je travaille peu le lundi et le vendredi. Mais ça m’arrive régulièrement le soir et le dimanche.
J’ai choisi de rester solo-entrepreneure, car je ne souhaite pas gérer d’équipe, être obligée de faire rentrer des contrats ou que la question financière devienne problématique. Je gagne chaque année, comme par hasard, très exactement ce que j’avais prévu pour assurer ma sérénité quotidienne, entre simplicité et confort. MES choix de simplicité et de confort.
J’ai mis le mot sérénité au centre de ma vie
J’ai choisi de faire du temps mon unité de mesure et d’en devenir la gardienne des clés.
Parfois, ça dérape. Parfois, mon agenda est trop rempli. Parfois, j’oublie de lire ou de regarder le ciel. Parfois je m’énerve sur mes enfants car ils ne sont pas encore couchés, alors que bon sang il est déjà 21h ! Parfois, je suis hypnotisée par mon téléphone.
Mais bon, quand même, je peux dire aujourd’hui que le temps m’appartient. Est-ce que j’ai trouvé une formule magique ? Les 10 secrets imparables de la réussite ? Non. Car je suis persuadée que tout cela ne fonctionne qu’avec moi et que c’est à toi de trouver ta formule.
Est-ce que j’ai de la chance ? Non ! J’ai un putain de courage !
J’ai souvent l’impression que l’on donne plus de valeur(s) à ceux/celles qui n’ont pas le temps, qui sont pressé.es. Quand tu aimes prendre le temps de vivre, tu sembles hors la société. Comme un papillon posé à côté de la fourmilière qui regarderait tout ce petit monde en se disant : à quoi bon courir partout, puisque, ce soir, nous serons tous morts ?
Je suis un chat, vraiment. Je pourrais ne rien faire pendant des heures. Soudain, je me lève, et hop j’écris un article de 1500 mots, je réponds à mes mails, j’envoie mes factures. Puis je retourne à mon oisiveté apparente. Ce qui est très drôle, c’est que les décisions que je prends en respectant ma paresse naturelle sont souvent les meilleures !
La paresseuse a le grand talent d’aller à l’essentiel sans s’encombrer de détails bouffeurs de temps et d’énergie.
Alors oui, c’est parfois brouillon. Mais c’est là le moindre de ses défauts ;). Et puis, elle est si mignonne, on lui pardonne tout ! Car la paresseuse sereine, malgré tout, accomplit un sacré paquet de truc. Simplement, elle n’aime pas trop le brassage d’air et elle a besoin de se focaliser sur des activités ayant du sens pour elle. Voilà, s’il y en a un, c’est peut-être cela son secret.
Il y a beaucoup de « je » dans cet article, mais je suis loin d’être un cas isolé ! Je rencontre de plus en plus de personnes, entrepreneur.es ou salarié.es, qui partagent cette envie puissante de vivre leur vie plus sincèrement. J’ai une pensée notamment pour 3 amies, Anouk de Talented girls & Laure des Aventurières, avec qui j’échange régulièrement à ce sujet. Et pour Jessica que je ne connais que depuis quelques heures mais que j’ai sentie sur la même longueur d’onde à ce sujet (et bien d’autres, ah ah !).
Le temps
C’est un sujet sur lequel j’ai envie de continuer à réfléchir. Le plus marrant, c’est que ça faisait des semaines que j’avais envie d’écrire un article pour mon blog. J’avais eu mille idées, mais aucune n’avait pris vie. Jusqu’à ce soir où je n’avais aucunement prévu de m’assoir devant mon ordinateur. Et pourtant…
Sur ce, je vous quitte mes canards. Je m’en vais buller sur mon canapé entre mon bouquin du moment et un bon film à mater !
Caroline
17 janvier 2018J’adore et je me reconnais tellement dans tes mots et ton partage!!
Au début de ma vie d’entrepreneure, j’adore toutes ces heures que je peux enfin remplir, ou pas, à ma guise. J’adore aller chercher mes enfants à l’école et passer mes mercredis avec eux … et j’aime tout autant les semaines qu’ils passent chez leur papa 🙂 Encore plus de temps pour moi à faire et ne pas faire.
Merci de ton partage aussi pour le fait que cette douce paresse n’empêche absolument pas l’entrepreneuriat !! Moi j’y crois! 🙂
Le temps est un sujet fascinant …
Morgane
19 janvier 2018Bonjour Caroline, et merci. Oui, fascinant, c’est le bon mot ! Je crois que j’ai de quoi mouliner pendant un paquet de temps mouahahah
Claire
4 mars 2019Qu’est ce que ton article me parle. J’aspire a plus de sérénité. Prendre le temps de vivre.
J’avance doucement mais sûrement. Un temps pour chaque chose et chaque chose en son temps
C’est une tres belle découverte que nous a fait Cécile.
Morgane
11 mars 2019Merci à toi Claire pour ton passage chez moi 🙂
Amelia
18 janvier 2018J’aurais pu écrire les mêmes mots, à quelques détails près 🙂 Et j’aime ton habitude de poster une influence musicale à la fin de chacun de tes billets ! Je fais la même chose depuis 2008 sur mon blog perso, et ce partage est très précieux 😉
Morgane
19 janvier 2018Coucou Amelia, ah, ça faisait longtemps ! Tu pourrais remettre ton blog en commentaire que j’aille te lire ?
Visiteuse
18 janvier 2018Maître Confucius et Maître Lao Tseu sont sur un bateau…
Confucius c’est bien, Lao Tseu c’est pas mal non plus avec sa pensée en paradoxes, il permet de relier, réconcilier les contraires et de comprendre les évidences cachées.
« de l’argile nous faisons un pot, mais c’est le vide à l’intérieur qui retient ce que nous voulons »
Ou bien « de la glaise surgissent les jarres mais le vide en elles crée la Nature de la jarre »
Ainsi parlait Lao Tseu.
Si le vide peut contenir, il faut faire attention à ce qu’il retient et qui pourrait se répandre.
Et comme disait mon prof de littérature dans sa grande sagesse peu conventionnelle :
« Si tu ne peux sauter 1 mètre, sautes en 2 » ou « si tu veux réussir ton bac, commence par échouer » et encore « gère ta paresse pour parvenir ».
Moralité : Vive les paradoxes : un remède contre les illusions et contre l’ennui…
Morgane
19 janvier 2018Exactement chère visiteuse, vive les paradoxes ! Merci 🙂
Marina
23 janvier 2018Merci !
Merci pour cet article totalement décomplexant.
Merci de me faire me sentir moins seule à souvent avoir envie de glander, à souvent n’avoir pas de motivation à faire quoi que ce soit (hormis lire, moi aussi).
Merci d’envoyer valser les croyances communes selon lesquelles il faut consacrer sa vie à son job quand on se lance si on veut réussir.
Merci de nous montrer que s’écouter, suivre son propre rythme, s’inventer est une des clés, sinon La clé
Morgane
23 janvier 2018Avec plaisir Marina 😀
Mel
25 janvier 2018Magnifique Morgane, j’aurais pu ecrire ce texte tant il me ressemble. Paresseuse à 90% du temps avant d’envoyer la purée sur une creation artistique en un temps record, puis retourner buller … c’est tellement joliment dit dans ton texte. La paresse existe-t-elle vraiment? Je crois que c ‘est un mot inventé par les gens qui ne sont pas tranquilles avec le fait de ne rien faire !
Morgane
26 janvier 2018Ah ah ah ! Mais tellement ! Nous, on veut juste… vivre 😉 Merci Emilie
Marie
28 janvier 2018Oh ! Que j’aime ce que je viens de lire !
Ça rejoint carrément ce que j’ai écrit dans ma newsletter ce matin.
Certes, je ne sais pas glander mais j’ai (re)pris conscience de tous les bienfaits de l’éloge De la lenteur.
Lenteur et précision valent 1000 fois mieux que de brasser de l’air dans tous les sens !
Merci pour cet article qui j’en suis sûr déculpabilisera beaucoup d’entrepreneurs qui pensent qu’on doit toujours faire, faire, faire, sans répit !
Tes mots sont une grande bouffe d’oxygène
Morgane
29 janvier 2018Merci Marie, tu verras tu y prendras goût !
Mel
1 février 2018Coucou Morgane, ah mais ouiiiii! Merci à toi, merci à Laure aussi dont les articles m’ont pas mal déculpabilisée; vive la glande!
Morgane
2 février 2018Oui ! Sisters of glandouille ^^
Valériane
17 juillet 2018Oh merci pour cet article ! Je ne suis pas seule en fait ! ça fait du bien de le lire !!! Et chapeau pour l’assumer, sincèrement. Je n’en suis pas encore là ! Quand mon homme critique sans arrêt mon rythme de vie, j’en suis encore à me recroqueviller et à culpabiliser. Mes enfants eux ne s’en plaignent pas (ils sont trop cools) et franchement parfois j’ai envie de les déscolariser pour que eux aussi découvrent leur rythme. Peut-être que j’assumerai mieux quand je gagnerai plus de pognon (la valeur étalon de notre société). En tous cas je partage ton article aux copines. Bisous virtuels.
Morgane
22 juillet 2018Merci à toi Valériane ! Bisous 😉
Annajo Janisz
5 mars 2019« Mon pauvre Alexandre… Qu’est-ce que tu vas faire maintenant ?
— Moi ? Rien. »
(Sur le tableau noir)
Aujourd’hui : Dormir
Demain : Dormir
Dormir
Dormir
DORMIR
Ce film est un pur bijou. Merci de l’avoir partagé avec nous !! Je viens de le découvrir ce soir et j’ai passé un merveilleux moment.
Ton texte, j’aurais pu l’écrire. Pas avec ta plume, évidemment, avec mes mots, mais avec le même cœur… L’essence de tout ça, la philosophie, la manière d’Être — et pas celle d’être quoi que ce soit, mais juste Être—, de vivre et de penser Instant Présent — et non instant pressant —, je crois que beaucoup l’ont captée et y adhèrent.
Et sur ce…
… je vais me coucher 😉
Morgane
11 mars 2019Tu sais quoi, je crois que je vais me prendre le DVD à la médiathèque, ça fait trop longtemps ! Biz Annajo