Très souvent, on me dit cette phrase qui me laisse perplexe : « Tu en as de la chance, tout te réussit ». J’aime ma vie, c’est vrai. L’amour, les enfants, mon métier, ma passion…
Et pourtant, j’en ai traversé des cyclones.
Au propre comme au figuré.
J’ai 10 ans et une vie de rêve
J’ai 10 ans. Déjà, je suis libre, déjà, je suis forte. Je ne le sais pas encore.
J’ai 10 ans, j’habite au bord du lagon, à quelques pas d’une plage de sable blanc. Vie rêvée…
Dès que je le peux, je prends ma planche, ma pagaie et je pars plonger au milieu des coraux. Je pense, je rêve, je profite.
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J’ai 10 ans. Le lagon est monté de plusieurs mètres, emportant quelques pirogues. Les cocotiers ploient presque jusqu’au sol. Les rafales atteignent 180-200 km/h. Nous sommes seules, les militaires sont réquisitionnés loin de l’enfer, loin de leurs proches… Etrange paradoxe que, même 30 ans après, je ne peux comprendre « émotionnellement ».
Cyclone.
Je suis recroquevillée à côté de la baignoire, dans la pièce la moins exposée. Je n’ai pas peur, je n’ai pas conscience du danger. Ou peut-être sais-je déjà que ce cyclone-là ne me tuera pas ? Je rêve, encore et toujours, je m’enfuis.
Calme.
Les cocotiers ont retrouvé leur port altier, le silence est impressionnant, angoissant même. Nous sommes dans l’oeil, il ne nous reste que quelques instants pour rejoindre l’école « en dur ». Nous y serons mieux protégées et surtout mieux entourées. Nous ne serons plus seules.
Entraide.
Le cyclone s’en est allé. Les dégâts sont énormes, les maisons en tôle se sont envolées, les rivières charrient déchets divers. Chacun retrousse son paréo et se met au travail. Entraide. Regarder vers le futur, toujours.
Retour à la maison. Les murs, le toit sont toujours là. Une tôle gigantesque a traversé le jardin, pour s’arrêter à quelques millimètres de la vitre. Quelques millimètres qui changent tout : sans eux, la vitre aurait été brisée, le vent se serait engouffré, emportant notre toit, ravageant tout. Nous aussi, peut-être…
Nous sommes des survivantes.
Nous reprenons le cours de notre vie. Nous avons appris à écouter les signes précurseurs de la tempête, appris à protéger notre maison, appris à nous rapprocher des autres, pour ne plus être seules.
Des tempêtes à n’en plus finir
Ma vie, comme la vôtre, est jalonnée de ces typhons, ces tsunamis qui emportent tout sur leur passage et nous laisse nus comme au premier jour.
Violence, humiliation, mépris, indifférence, mort, maladie, impuissance, solitude, rejet… Ils sont nombreux ces mots, ces maux qui nous tombent dessus. Je ne suis pas plus épargnée qu’un(e) autre.
J’en ai traversé des cyclones. Traversé. Et je suis toujours là.
Je n’aime pas trop cette phrase de Nietzsche « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort ». Car je crois que ce qui me rend plus forte, ce ne sont pas les épreuves que je traverse, mais la façon dont je choisis de les traverser. C’est ce qu’il se passe après.
Ce qui me rend plus forte, c’est de choisir les personnes avec qui je les traverse.
Je dis bien « choisir » : j’affirme que nous sommes capables de sentir qui sera bon pour nous et qui ne le sera pas. Au-delà des conventions familiales ou sociales.
Ce qui me rend plus forte, c’est de croire en cet élan vital, qui vient du plus profond de notre animalité. Qui dit : « tu dois survivre, tu es programmée pour ».
::: Cet élan vital qui permet de supporter toutes ces années où la vie refuse de venir en soi.
::: Cet élan vital qui permet de dire non à ces hommes qui ne voient en toi qu’un objet.
::: Cet élan vital qui permet de dire oui à nos envies d’épanouissement professionnel.
Je ne suis pas forte parce que je n’ai pas de faiblesses, de doutes ou de défauts. Je suis forte parce qu’ils font partie de moi mais ne prennent pas toute la place.
Imparfaite, libre et heureuse
Je crois que notre plus grande force, ce sont les autres. C’est savoir dire « aide-moi », dire « je vais mal », dire « je ne sais pas, sais-tu ? ». C’est accepter de lâcher-prise et confier sa vie, son âme à l’autre. C’est savoir choisir cet autre, trouver celui, celle qui nous accueillera avec bienveillance et fermeté. Qui nous dira « tu peux », qui nous dira « fais-le ».
Je crois que notre plus grande force, c’est être soi.
Quoi qu’en disent les autres.
Je crois que notre plus grande force, c’est d’accepter ce paradoxe : j’ai besoin des autres alors que je voudrais ne pas avoir besoin d’eux.
Aujourd’hui, je ne veux plus me torturer d’être qui je suis, d’être comme je suis. Je me rends compte qu’en me libérant du regard des autres, je gagne en paix intérieure, du coup j’ai l’impression de m’améliorer naturellement, sans forcer.
Ma vie est faite de cyclones
Oui, ma vie est faite de cyclones. Beaucoup sont invisibles. Ils laissent des fêlures, des failles, des fossés. Charge à chacun de trouver la façon de les combler. Mais les cicatrices sont là, traces indélébiles de notre vie, de nos vies. J’en ai beaucoup, sur mon corps, mon cœur, mon esprit. J’aime la plupart d’entre elles. Quant aux autres, je préfère les garder cachées, pour l’instant…
À chaque cyclone, une tôle est venue s’arrêter à quelques millimètres de ma vitre. Chance ? Heureux hasard ? Peut-être. Mais pas seulement. Il y a aussi tout ce travail immense que je fais chaque jour pour protéger ma maison, pour bien m’entourer afin de ne pas être seule. Et si, un jour, une tôle vient détruire ma vitre et ma vie, je sais que tout ce que j’ai construit me permettra de renaître.
Souvent, je regarde autour de moi et je me demande ce que j’emporterais si je devais partir en quelques secondes. Rien, à part mes enfants. Non pas que je vive d’amour et d’eau fraîche, mais le matérialisme ne m’intéresse pas, aussi symbolique soit-il. Peut-être suis-je une idéaliste irréaliste ? Je ne le crois pas. Car n’oubliez-pas, j’en ai traversé des cyclones.
J’en ai traversé des cyclones et ce n’est pas fini.
Je sens que je suis sur la voie de la sérénité.
Et ça n’a pas de prix.
Abdelhamid
11 avril 2014Très beau et très touchant.
Morgane
19 février 2015Merci (répond-elle avec presque 1 an de retard !)
Elodie B
5 juin 2014Traumatisant mais magnifiquement écrit ! On ressent toutes tes émotions à travers ton texte et tout ton courage 🙂 Nous sommes des guerrières !
Morgane
10 juin 2014Oh merci !! Comme dirait mon amie Djeffa Roaaaaaaaaaaarrr !