Séparés
Il semble que le soleil ne parvienne pas à atteindre cette partie de la planète : je n’ai pas vu la lumière du jour depuis des centaines d’heures, et ça va finir par me rendre fou ! Je ne sais pas ce que les Autres ont trafiqué dans cette partie du monde, mais les résultats sont apocalyptiques : ruines, cendres, épaves diverses et souvent non identifiables, j’ai la sensation de me promener dans un gigantesque cimetière qui rappelle le plus sombre de l’humanité et de ses pouvoirs. Ajoutées à cela l’absence de Gabrielle et l’ignorance de ce qui lui est advenu, et tout ça transforme ma vie présente en un enfer que je ne suis pas certain de pouvoir traverser.
Après mon dernier contact mental avec Gabrielle, je n’ai pas eu le choix : il a fallu que je mette encore plus de distance entre les Autres et moi, car j’ai vite compris qu’ils n’auraient de cesse de me retrouver, et comme j’avais des doutes sur la bonté de leurs intentions, ma seule issue était de m’éloigner de la civilisation, mais aussi du No man’s land et de tous les endroits que nous avions fréquentés au cours de notre fuite. J’ai foncé vers l’est, marchant la nuit et dormant le jour, comme tout bon fugitif. J’ai conservé quelques jours des échanges ténus avec Gabrielle, très confus mais qui me rassuraient sur son état, et puis d’un seul coup, plus rien.
Depuis que je suis dans cette zone obscure, j’ai perdu le seul lien qui me rattachait à elle. Je suis seul dans cette abominable partie de la Terre, et je ne sais plus rien d’elle, si ce n’est qu’elle n’a plus Victor, et qu’elle dépend entièrement du pouvoir des Autres, de ce pouvoir incommensurable qu’ils ont sur son fils.
10h54 – S3-J1 ap. V.
Pendant une dizaine de jours, je ne fus que douleurs. Enfermée dans ma souffrance et dans ma chambre sans fenêtre, j’avais perdu le compte des heures…
Douleur du cœur et des tripes, intolérable séparation d’avec mon bébé. Repliée sur moi-même en position fœtale, comme pour mieux communiquer avec lui, je n’ai même pas réussi à verser les larmes qui m’auraient soulagée. Douleur insupportable de ne pas savoir où il était, comment il allait. Douleur de mère.
Douleur physique, ma poitrine me rappelant sans pitié l’absence de Victor et sa faim insatiable. J’ai refusé les médicaments que l’on m’a proposés pour couper la lactation. Non par principe mais pour garder une connexion maximale avec mon enfant. Comme si cette sensation d’animalité me permettait d’exprimer pleinement mon amour pour lui et de garder mon intuition en alerte.
Douleur cérébrale, devant la solitude créée par le départ de mon fils et la disparition de Bastien. J’étais tellement anéantie que je n’ai même pas cherché à garder le contact avec mon nouvel ami. Il me manque terriblement lui aussi, c’est mon âme sœur, j’en suis dorénavant certaine.
Douleur insidieuse du doute. Passer de la confiance aveugle au doute absolu… Torture suprême. J’ai des flashs de ce moment fatidique passé avec celui qu’ils appellent de façon ridicule « Le Plus Grand de Tous ». Mais lui ne l’est pas, ridicule et je sais que tout a basculé à cause de si peu de chose, en tout cas en apparence. Je ne veux pas m’y attarder ou y repenser, c’est trop tôt. J’ai besoin, avant d’affronter la réalité et les Autres, de retrouver mon équilibre et ma force.
Depuis quelques jours, je refais surface. Je sens des ondes de chaleur me parcourir et j’éprouve une sensation inédite pour moi : celle d’être à deux endroits différents. Mon corps est ici, sur la Terre, mais mon esprit (ou mon âme, je ne sais pas vraiment) est ailleurs, avec Victor. Je ne vois rien, je n’entends rien, mais je ressens ses émotions. Comme pour tous les bébés, celles-ci sont intenses et brutes, pour ne pas dire animales. J’ai encore du mal à les décoder mais patience et concentration seront mes alliées.
Chaque soir, le contact se fait plus facile, plus naturel. Avec un instant clé, aussi précis qu’une montre suisse. Montre que je n’ai pas, pourtant je sais parfaitement quel est ce moment qui ponctue ma vie depuis si longtemps : 21h34.
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Pour découvrir le chapitre 1 du tome 1, 21h34 – Gabrielle ou pour l’acheter, c’est possible aussi 🙂.
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