Elle est si frêle, si douce, cette jeune danseuse. Elle a 12 ans et la vie devant elle.
Elle monte dans l’ascenseur et sent immédiatement que l’homme qui monte avec elle n’est pas quelqu’un de bien.
Il appuie sur le bouton Stop.
Son estomac se noue, tout son corps se glace et se contracte.
– À genoux !
Elle s’exécute. Elle est comme la biche prise dans les feux du camion qui fonce pour l’écraser de tout son poids.
– Suce-la moi.
Elle n’est pas très au fait de ces choses-là, mais elle comprend immédiatement.
Élan vital ?
Instinct de survie ?
Elle se relève et crie
NON
Il doit avoir à peine 20 ans, porte un perfecto noir. Il est nerveux, très nerveux. Il serre ses poings dans ses poches.
– J’ai un couteau.
Elle ne le croit pas. Elle sent sa peur, ses doutes, son incompréhension face à sa révolte.
L’ascenseur redémarre, c’est un modèle ancien, avec une simple grille ouverte sur l’escalier. Elle ne remerciera jamais assez ce détail qui l’a certainement sauvée du pire.
Il la fait sortir à l’étage en-dessous de chez elle.
Il la plaque contre le mur, elle ferme les yeux et le laisse faire quelques gestes plus que déplacés comme on dit dans le beau monde. Attouchements en langage froidement juridique. Rien de bien grave en langage de mépris et de violence.
Quelques secondes qui durent une éternité.
Il s’enfuit brutalement.
Elle n’a plus crié, anesthésiée par la peur. Mais elle a dit non.
Non.
Elle rentre chez elle, elle raconte tout.
Pendant des mois, elle vivra avec cet écœurement permanent, ce dégoût.
Elle n’a pas spécialement peur, elle n’a pas vraiment honte, mais elle n’a pas envie d’en parler. Elle veut oublier, si c’est possible.
Elle mettra 10 ans à trouver enfin le courage de s’autoriser à aimer.
10 ans gâchés, 10 ans renfermée sur elle-même à cause d’une pourriture.
Elle n’a jamais oublié. Puis elle a rencontré l’homme qu’il lui fallait.
Je n’ai pas oublié ce qui fut mon premier cyclone intérieur.
J’ai ce dégoût, cette haine, cette rage qui montent en moi quand je vois, je lis, j’entends tout ce qui concerne les viols.
Je garde un mépris total pour celui qui a fait voler mon innocence en éclats.
Puis, j’ai construit ma vie sur les cendres de mon enfance. Je me suis fait une promesse.
Face aux hommes, je garderais mon nom, toujours. Je garderais ma dignité, toujours. Je garderais mon âme, quoi qu’il en coûte.
Nous sommes des révoltées, avec le poing levé.
Nous sommes des rebelles, totalement décadrées.
Nous sommes des indignées, nous agissons pour faire changer.
Je pleure de rage, de colère.
L’orage est passé, je garde ma détermination.
Je suis droite et je sais m’adapter, je plie et ne romps jamais.
Je suis une révolutionnaire, je veux dompter mes peurs.
Je suis ambitieuse, je veux faire exploser mes carcans.
Vous êtes énergie noire, force sombre.
Vous êtes enthousiasme brillant, lumière vers l’ouverture.
Je suis panthère. Noire.
Je me suis rebellée, je me rebelle contre tous ceux qui veulent me briser ou me dicter leurs règles.
Je n’accepte que mon propre cadre.
Je suis une incomprise car personne ne peut comprendre. Je suis une image en décalage avec la réalité. Mais, peu à peu, la panthère ressurgit. Sûre d’elle, confiante. Elle n’a pas oublié.
30 ans plus tard,
Le regard droit, sourire aux lèvres,
La rage de vivre, le poing levé,
Je vais mon chemin.
Qui m’aime me suive.
borie
14 mai 2014Tu as réussi à me faire pleurer…D’émotion, de solidarité, de fierté, de rage, de révolte, de sororité. Bises, ma jumelle….
Morgane
16 mai 2014Merci jumelle, les panthères sont solitaires mais jamais seules, grâce à leurs soeurs 🙂
Gwenaelle Carré Guyot
15 mai 2014Et l’histoire des femmes de tout temps se réécrit…..
Avec solidarité, avec foi en toi, avec reconnaissance pour celle que tu es.
Je t’aime ma belle Morgane. <3
Morgane
16 mai 2014Je t’aime aussi, énorme bisou, c’est chouette d’être bien entourée !
anab
15 mai 2014… mon coeur est encore battant… de compassion, de flash back sordides… la panthère noire n’est pas encore sortie de mes entrailles…. la peur de n’être pas à la hauteur, alors que mon présent et mon futur prouvent que je peux, je sais dire NON…. les vieux carcans sont longs à se désagréger… l’esprit est lent à se libérer… le poing levé, le sourire qui ne ment pas… le chemin semble amorcé, merci Morgane, merci plus que tu ne l’imagines…. le temps fait son oeuvre disait ma gd-mère… Oser, braver ses propres démons… la force tranquille qui parfois entrave les élans pour « faire » pour juste « être »… ton article va résonner… comme souvent, et va me raisonner…. 😉
Morgane
16 mai 2014eh bé Anab, quand la panthère va surgir, ça va faire des ravages ! Ben moi j’ai hâte de voir car je suis certaine que ça te fera énormément avancer. 🙂
Djeffa TISSERAND
15 mai 2014Ma Morgane
Bravo d’avoir eu le courage de dire pourquoi tu es là et pourquoi tu es comme ça.
Ma soeur de coeur, nous sommes viscéralement panthères, avec une rage de vivre.
Je t’aime
Morgane
16 mai 2014Ah oui, kumquat, cette rage, cette rage en nous. Elle ne se voit pas hein, c’est ça qui est le plus étrange ? Et pourtant elle nous porte chaque jour. Gardons-la car elle nous permet d’avancer et d’agir. Je t’aime aussi
Frédérique
15 mai 2014Très émue par ton article
Bravo pour ces mots
Je t’embrasse
Fred
Morgane
16 mai 2014Merci Fred, j’aime te savoir par ici, tu me fais du bien.
Ducasse Véronique
15 mai 2014Bravo Morgane, pour ton courage, pour tous ces maux qui sont sortis des années après… Tes mots noirs sont là pour exprimer ta douleur, ta colère, ta révolte et tes mots orangés pour exprimer, ta rage de vivre dignement, partager et réparer.
Bravo pour toute cette force que l’on sent en toi, cette résilience puissante.
Bravo panthère noire !
Morgane
16 mai 2014Ah chère Véronique, ta puissance artistique m’inspire tellement si tu savais ! Vive la résilience, mais vraiment. Moitié orange lumineux, moitié sombre noir, c’est tout à fait ça… Je t’embrasse
pioune
15 mai 2014Pour avoir vécu quelque chose d’un peu similaire, toute petite, je peux comprendre.
Mais nous sommes fortes, et nous avons dompté la vie.
Morgane
16 mai 2014Oui, nous sommes fortes malgré tout. Et notre vie est belle 🙂
Lau
15 mai 2014Il t’en a fallu du courage pour dire non, pour vivre avec et maîtriser cette colère. Cette rage. Ce n’est pas toujours facile de savoir quoi faire de ce dangereux bouillonnement qu’on ressent et retient en soi.
Tu as su en tirer partie. Bravo Morgane. Merci pour ton partage et la force que cela procure.
Morgane
16 mai 2014Merci Laurence, c’est un bouillonnement invisible ce qui le rend d’autant plus étrange aux autres. Je crois que l’écriture m’est d’une aide précieuse, tout comme la présence des mes lecteurs. Je t’embrasse
Yves
15 mai 2014Yin Yang.
Il est la merveilleuse manifestation de l’amour et peut devenir une arme de destruction de l’autre.
Il donne la vie et peut la briser pour un temps ou pour toujours.
Je suis blessé par empathie, même si ça fait toujours moins mal.
En tant qu’homme il me dégoûte et je le hais.
Et pour me défendre avec toi, je reprend le Yin Yang.
Pour faire de la panthère noire, une panthère rose 🙂
https://www.youtube.com/watch?v=fQ10Yhx-RoQ
Morgane
16 mai 2014Yves, Yin et yang, ça me parle carrément. Ne sois pas blessé, je ne le suis plus. Ne le hais pas, je ne le hais plus. Entre parenthèse, je suis bien contente d’avoir continuer à vous aimer, Messieurs 😉
Merci pour la panthère rose, un peu d’humour pour compenser la gravité, je prends !!
Virginie Chavenon
15 mai 2014J’ai tellement de peine pour cette petite fille de 12 ans, et tellement d’admiration pour la grande femme qu’elle est devenue. Très amicalement.
Morgane
16 mai 2014Merci Virginie, double merci.
monencre
15 mai 2014Terriblement bien écrit. Un courage incroyable est nécessaire pour écrire cela. Merci Morgane
Morgane
16 mai 2014Merci à toi, le dois dire que les commentaires masculins me touchent particulièrement, tu te doutes pourquoi…
Pauline de Cha'gribouille
15 mai 2014bravo pour ton courage… celui que tu as depuis que tu es toute petite !
bravo pour ta sincérité, ton humanisme et merci à toi de nous faire cette confidence qui nous aide à mieux te connaître.
Merci d’être toi ! <3
gros bisous Mo'
Morgane
16 mai 2014Merci Pauline, parfois ce n’est pas du courage, juste un besoin irrépressible. Une nécessité pour enfin tourner la page. De belle façon. Bisous
Sylvaine
15 mai 2014Quel immonde fardeau à porter. Mais les maux (et tes mots si courageux) sont sortis et te permettront d’avancer, bien droite, la tête haute, fière comme une belle panthère noire avec ton courage de petite fille intact. J’espère que l’ordure que tu as croisée pourri dans le néant.
Malgré cette abjection tu es devenue une belle personne, tu as construit de belles fondations c’est ce qui compte.
Je t’embrasse. Sylvaine
Morgane
16 mai 2014Merci Sylvaine, oui je crois que des fondations solides, c’est vraiment essentiel. Elles me permettront de transmettre autant que possible à mes enfants. Je t’embrasse également.
Nelly
15 mai 2014Très chère Morgane,
Je te connais peu mais je suis touchée pas toi depuis que je t’ai rencontrée…je suis impressionnée par ta force…je comprends maintenant d’où elle vient ! Pour avoir déjà malheureusement entendu des récits similaires, je suis toujours à la fois écoeurée , révoltée et dans l’incompréhension qu’un humain puisse faire cela. Quelle leçon de courage tu nous montres…se dire avec sa blessure mais avec sa force aussi !
Tu es une belle princesse doublée d’une belle panthère noire, Morgane. J’ai de la chance d’avoir croisé ta route…mais y-a-t-il chance ou synchronicité ?
Je t’embrasse,
Nelly
Morgane
19 mai 2014Chère Nelly, merci ! Disons chance ET synchronicité :-). Je crois qu’il est essentiel de voir toujours la force née d’une blessure, tout comme il est illusoire de ne se croire que forces (ou que blessures)… A très bientôt, je t’embrasse également
Laurence
15 mai 2014Je te suis parce que je t’Aime.
Entre félines …
Exceptionnellement émouvant.
Merci Morgane.
La Tigresse.
Morgane
19 mai 2014Merci Tigresse, nos histoires, nos failles deviennent souvent des liens forts. De ceux qu’on ne comprend pas forcément mais qui sont simplement évidents. Parce qu’on vient de loin, comme dirait Corneille ;). Je t’embrasse et t’aime aussi
Marie-Hélène
15 mai 2014Heureusement que personne ne pourra empêcher les mots de sortir, de crier, de sauver, de panser, de s’envoler, d’avancer … Confession importante pour toi et toutes celles dont le NON n’aura pas été entendu … Merci de ta confiance … La route est belle quand elle est libre … Plein de soleil dans ton coeur jolie Mo …
Morgane
19 mai 2014Merci Marie-Hélène, oui tu as raison, apprenons à écouter ces nons qui ne sont pas forcément dits. Apprenons à nos enfants à les dire et à savoir les entendre. Bises !
elsa
15 mai 2014Très beau texte….un peu troublant pour moi cela dit.
Dommage qu’à 6 ans je n’ai pas su dire non….
La vie ne nous a pas épargnée Chouchou mais regarde ce que l’on est devenu, pas si mal, non ?
gros biz
xxx
Morgane
19 mai 2014Oui, sister que j’aime, troublant, bien entendu. Ne t’en veux pas de ce non qui n’est pas sorti, 6 ans, c’est bien trop petit. Ce n’était pas à toi…
On est devenues carrément des gonzesses qui déchirent leur race et nos hommes l’ont bien compris hi hi. Smack
Morgane
16 mai 2014Merci Nadège, j’aime aussi la femme que tu es et que je ne demande qu’à connaître encore mieux. Très bientôt 😀
Morgane
16 mai 2014Merci Alexandra, je crois savoir de qui il s’agit ;).
Tiens, oui, je vais ressortir mon chapeau, bonne idée !
rachida
19 mai 2014Cette gamine m’a scotché qu’elle force . Et je comprends mieux la grande dame qu’elle est devenue. Bravo pour ce texte, un courage qui te ressemble bien. Des bises.
Morgane
22 mai 2014Merci Lyv, je le sens venir jusqu’à moi ^_^. T’inquiète, on va pas se laisser faire !
SUSSARELLLU
27 mai 2014Bonjour Morgane, bravo pour ce témoignage et pour la qualité de l’écriture. Sandra
Morgane
27 mai 2014Merci Sandra, ravie de vous lire et à bientôt
Elodie B
5 juin 2014Bravo et Merci Morgane.
Dès la première ligne, un écoeurement est arrivé en moi, je savais ce que j’allais lire et les souvenirs qui allaient revenir. Ces choses ont ne les oublie jamais, elles restent en nous et nous donnent la force de s’opposer aux autres.
Un beau combat 🙂
Morgane
10 juin 2014Merci Elodie, oui, un magnifique combat, celui de la vie, de notre vie 🙂
Morgane
19 janvier 2015Merci Débora, ils devaient sortir, je suis heureuse de l’avoir écrit.
Morgane
19 janvier 2015Merci Denis, je suis honorée
steph de politikment incorrecte
3 février 2015Merci Morgane. Tu as raison, on minimise toujours avec des mots politiquement correcte!
A 16 ans (encore un souvenir enfouit qui refait surface) un homme qui m’a suivi à pieds de la gare à chez moi m’a « juste tripoté ». Il m’a prise par surprise et par derrière, les flics ne se sont jamais déplacés et pendant des années dès que j’entendais des pas derrière moi j’avais peur. Ça n’a pas été plus loin 19 ans après c’est tjs ds un coin. Ces salauds ne se rendent pas compte du mal qu’ils font!
Tu as eu bcp de chance, tant mieux!
Morgane
4 février 2015Je crois que la négation de la gravité de l’événement vécu est presque pire que l’événement lui-même. En tout cas, ça rajoute aux difficultés. Mais grâce à l’écriture et au partage, on arrive à se débarrasser de ce passé trop lourd… Bises Steph, ne laisse pas tes démons diriger ta vie